
Critique de "Mortal Engines" de Philip Reeve.
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Introduction : Une locomotive à vapeur lancée à toute allure dans l’imaginaire
Lorsque l'on évoque la littérature steampunk, certains noms surgissent inévitablement : Jules Verne, H.G. Wells, ou encore William Gibson, père du cyberpunk. Mais dans la sphère contemporaine, peu d’œuvres ont su marquer les esprits avec autant de panache et d'inventivité que Mortal Engines de Philip Reeve. Publié pour la première fois en 2001, ce roman est devenu une pierre angulaire du steampunk moderne, en particulier dans la littérature jeunesse. Il donne naissance à un univers vaste et original où les villes roulent, où la technologie ancienne se mêle à la survie post-apocalyptique, et où les ambitions humaines s’entrechoquent dans un monde en constante évolution.
Dans cette critique approfondie, nous allons plonger au cœur de cette œuvre magistrale. Nous analyserons sa richesse narrative, son esthétique steampunk, ses personnages, ses thèmes récurrents, et bien sûr, son impact sur la culture populaire et sur le genre lui-même. Vous trouverez également des liens pertinents avec d’autres articles passionnants sur steampunk-one.com, votre source incontournable pour tout ce qui touche à cet univers fascinant.
Un univers mouvant : le monde de Mortal Engines
Le premier contact avec Mortal Engines est souvent une révélation. L’idée des villes mobiles géantes – des métropoles montées sur chenilles, se pourchassant à travers les terres dévastées pour se dévorer entre elles – est l’une des plus frappantes du roman. Cette "Traction Era", où la survie passe par la mobilité et la prédation urbaine, constitue un décor aussi absurde qu’envoûtant.
La ville de Londres, transformée en colosse d’acier mobile, devient une force prédatrice, symbolisant la voracité industrielle et impérialiste. On retrouve ici une critique à peine voilée du capitalisme sauvage, de l’urbanisation effrénée et du pillage des ressources – des thèmes récurrents dans la littérature steampunk et que nous explorons plus en profondeur dans notre article sur les thèmes récurrents du steampunk.
La technologie et les ruines du passé
Le monde de Mortal Engines est post-apocalyptique. Des siècles après une guerre cataclysmique connue sous le nom de "Sixty Minute War", l’humanité tente de survivre avec les vestiges de la technologie des anciens – les "Anciens", c’est-à-dire... nous. Ce décalage temporel crée un effet de dépaysement constant : la haute technologie est vue comme de la magie, incomprise, vénérée ou exploitée à tort.
Ce renversement du progrès, où les restes de notre civilisation deviennent des objets mythiques, est l’un des fondements du steampunk. Reeve en joue habilement : ordinateurs obsolètes, armes de destruction massive oubliées, IA décadentes comme Shrike, sont autant d’éléments qui brouillent les lignes entre science et mythe.
Les personnages : entre chair et métal, humanité et monstres
L’une des grandes forces de Mortal Engines réside dans la profondeur de ses personnages. Ils ne sont jamais figés, jamais entièrement bons ou mauvais. Chacun porte une complexité psychologique qui rend l’aventure d’autant plus captivante.
Tom Natsworthy : le héros malgré lui
Tom est un apprenti historien, un jeune homme passionné par le passé, mais désillusionné par sa réalité. Il incarne le point de vue du lecteur, découvrant au fur et à mesure les mécanismes tordus du monde qui l’entoure. Jeté hors de Londres après une tentative d’assassinat, il commence un périple qui va le transformer en profondeur.
Hester Shaw : la révolte incarnée
Hester est une figure fascinante. Marquée physiquement et émotionnellement, elle incarne la vengeance et la souffrance, mais aussi la résilience. Contrairement aux héroïnes idéalisées de certains récits young adult, elle est brutale, directe, peu avenante – et c’est ce qui la rend formidablement humaine.
Shrike : le monstre aux émotions
Shrike est un Stalker, une créature mi-humaine mi-machine, créée à partir des cadavres des morts. Pourtant, il développe une forme de conscience, d’affection, voire de paternité envers Hester. Ce paradoxe – l’humain dans la machine – fait de lui l’un des personnages les plus mémorables du steampunk contemporain. Il évoque des figures comme Frankenstein ou les androïdes de Blade Runner, posant la question centrale : qu’est-ce qui fait de nous des humains ?
Un récit haletant : du roman d’aventure au conte philosophique
À travers une narration fluide, Philip Reeve mêle action trépidante et réflexion profonde. Le rythme est rapide, parfois même effréné, et le lecteur est sans cesse emporté d’un danger à l’autre, d’une révélation à une trahison.
Mais derrière ce rideau de scènes spectaculaires se cache une réflexion sur le pouvoir, l’histoire, et la morale. Le monde de Mortal Engines est cruel, où les héros doivent parfois faire des choix tragiques. Ce n’est pas une aventure classique où le bien triomphe aisément : ici, les lignes morales sont brouillées.
Les thèmes profonds de Mortal Engines
L’œuvre de Reeve regorge de thèmes complexes qui en font bien plus qu’un roman pour adolescents.
1. L’Histoire comme arme
L’un des aspects les plus brillants du roman est sa critique du révisionnisme historique. Le personnage de Valentine, archéologue et agent secret, manipule le passé pour servir des intérêts politiques. Dans cet univers, l’Histoire devient une arme aussi puissante qu’un canon – un sujet que nous développons dans notre analyse des uchronies steampunk.
2. Le cycle de la destruction
Le roman propose une vision cyclique de la destruction. Après avoir annihilé leur monde, les survivants reconstruisent une civilisation basée sur les mêmes erreurs : prédation, conquête, accumulation de pouvoir. Ce message écologique et antimilitariste est d’une pertinence brûlante à l’ère moderne.
3. L’obsession du progrès
La course au progrès technologique est au cœur du récit, mais elle est présentée sous un jour sombre. La technologie n’est pas un salut, mais un outil de domination ou de ruine. C’est une vision profondément steampunk : le progrès n’est pas neutre, il dépend de celui qui l’emploie.
Une esthétique purement steampunk
Le monde de Mortal Engines est un véritable festin visuel pour tout amateur de steampunk. Des villes roulantes aux rouages apparents, des machines à vapeur gigantesques, des ballons dirigeables, automates et armes baroques, chaque page évoque une esthétique industrielle nostalgique.
Mais ce n’est pas qu’un décor : l’esthétique est intégrée à la narration, elle façonne le monde, influence les sociétés et les comportements. Le steampunk ici n’est pas un simple enrobage – c’est le cœur du monde que Reeve a bâti.
Sur steampunk-one.com, nous explorons régulièrement cette richesse visuelle et symbolique dans nos articles, comme l’esthétique du XIXe siècle dans la littérature steampunk.
Les suites de Mortal Engines : une saga cohérente
Mortal Engines est le premier tome d’une tétralogie, poursuivie par :
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Predator's Gold
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Infernal Devices
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A Darkling Plain
Ces suites approfondissent l’univers et les personnages, tout en maintenant une cohérence remarquable. Reeve ne cherche pas à faire du remplissage : chaque tome a son identité propre, ses enjeux, ses émotions.
La saga développe notamment le thème de la transmission générationnelle, en explorant les conséquences des choix des premiers héros sur leurs descendants. On y retrouve aussi une critique du fanatisme idéologique et du mythe du progrès infini.
L’adaptation cinématographique : une occasion manquée ?
En 2018, Mortal Engines est adapté au cinéma par Christian Rivers, sous la production de Peter Jackson. Malheureusement, malgré un potentiel visuel indéniable, le film est un échec commercial et critique. Le récit est édulcoré, les personnages stéréotypés, et l’univers survolé.
Là où le roman brille par sa subtilité et ses nuances, le film tombe dans la facilité narrative. Si vous souhaitez en savoir plus sur ce que le film a manqué, lisez notre dossier exclusif sur les adaptations steampunk au cinéma.
Pourquoi Mortal Engines est une œuvre majeure du steampunk
Philip Reeve a créé un monde à part entière, riche, cohérent, brutal, et émouvant. Son œuvre pose les bonnes questions, dérange parfois, mais surtout, elle reste gravée dans l’esprit du lecteur bien après la dernière page.
Pour le public adolescent, elle propose un récit d’apprentissage exigeant, loin des clichés habituels. Pour l’adulte amateur de steampunk, elle offre une exploration approfondie des dérives du progrès, des luttes de pouvoir et du poids du passé. Et pour les passionnés de worldbuilding, c’est une leçon magistrale de construction d’univers.
Conclusion : Lire Mortal Engines, c’est embarquer à bord d’un géant de métal
Au final, Mortal Engines est bien plus qu’un roman steampunk : c’est un miroir tendu vers notre monde. Il interroge notre rapport à la technologie, à l’histoire, au pouvoir, et à la nature humaine. Il propose une vision à la fois épique et intime, apocalyptique et poétique.
Si vous ne l’avez pas encore lu, foncez. Et si vous l’avez déjà dévoré, relisez-le avec un œil neuf. Vous y trouverez sans doute de nouvelles strates, de nouveaux rouages.
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