
Critique de "Mortal Engines" : entre succès et échec.
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Lorsqu’on évoque les œuvres majeures du steampunk moderne, Mortal Engines de Philip Reeve figure souvent en bonne place. Publié en 2001, ce roman a marqué un tournant pour la littérature jeunesse steampunk. Premier tome d’une tétralogie ambitieuse, il a su captiver un lectorat avide d’aventures mécaniques et de mondes post-apocalyptiques. Pourtant, malgré une base solide et un univers foisonnant, Mortal Engines n’a pas connu un succès uniforme, notamment à travers ses adaptations et sa réception critique.
Dans cet article, nous allons explorer les forces et les faiblesses de Mortal Engines, à la fois en tant que roman, en tant que saga littéraire, et en tant qu’adaptation cinématographique. Ce faisant, nous analyserons les raisons de son succès relatif dans le monde littéraire steampunk, ainsi que les causes de son échec commercial au cinéma, en offrant aux visiteurs de steampunk-one.com une plongée approfondie dans cet univers fascinant.
Un univers steampunk d’une richesse incomparable
Mortal Engines se distingue avant tout par son univers unique : une Terre ravagée par une guerre dévastatrice appelée la “Guerre des Soixante Minutes”, où les villes sont désormais mobiles. Ces cités, perchées sur d’immenses chenilles, se déplacent en quête de ressources, avalant littéralement d’autres villes plus petites dans une forme extrême de darwinisme urbain appelée « Darwinisme municipal ».
Ce concept, à lui seul, incarne une vision originale du steampunk. Bien que l’action ne se situe pas dans une Angleterre victorienne traditionnelle, les éléments esthétiques du genre sont omniprésents : machineries gigantesques, appareils mécaniques aux engrenages exposés, ambiance brumeuse, dirigeables, armes archaïques et technologies rétrofuturistes.
Philip Reeve ne se contente pas de créer une simple atmosphère steampunk : il la renouvelle. Loin du Londres néo-victorien figé dans le temps, son Londres mobile incarne une modernité instable, grotesque, magnifique et monstrueuse à la fois.
Des influences variées et un imaginaire cohérent
Reeve s’inspire à la fois de Jules Verne, H.G. Wells, et George Orwell. Les cités mobiles rappellent les machines de guerre des Guerres des Mondes, tandis que la critique sociale évoque le 1984 d’Orwell. Pourtant, malgré ces influences, l’auteur réussit à produire une œuvre personnelle, où chaque détail technologique ou culturel semble faire partie d’un tout cohérent.
Les lecteurs de steampunk-one.com y retrouveront cette fusion très recherchée entre esthétique rétro et critique du progrès technologique, un thème central dans l’ensemble de la production steampunk.
Des personnages nuancés mais parfois inégaux
Le récit suit Tom Natsworthy, un jeune apprenti historien, et Hester Shaw, une orpheline au visage balafré en quête de vengeance. Leur duo forme le cœur émotionnel de l’histoire, oscillant entre haine, complicité et survie.
Tom : le héros malgré lui
Tom est un héros « accidentel » : propulsé dans une aventure contre son gré, il découvre progressivement les secrets sombres de Londres et du monde qui l’entoure. Son développement est bien construit, mais certains lecteurs pourront le trouver un peu trop passif par moments. Il incarne cependant la figure du citoyen ordinaire confronté à une machine sociale plus grande que lui, un trope courant dans le steampunk.
Hester : une héroïne marquante mais clivante
Hester, quant à elle, est sans doute le personnage le plus marquant du roman. Balafrée, amère, dure et déterminée, elle brise les codes des héroïnes stéréotypées. Elle est imparfaite, violente, et souvent antipathique, ce qui la rend paradoxalement très humaine.
Cependant, certains critiques lui reprochent une évolution psychologique trop brusque, notamment dans les tomes suivants. Ce qui, dans le premier livre, était une personnalité complexe devient parfois une caricature froide, voire déshumanisée.
Une intrigue haletante mais structurée de manière classique
Le récit de Mortal Engines suit une structure d’aventure relativement traditionnelle : séparation des héros, confrontations avec des antagonistes variés, révélation de complots, rebondissements dramatiques… Cela fonctionne efficacement, notamment pour un public adolescent, mais les lecteurs plus exigeants pourraient ressentir une certaine prévisibilité.
Le rythme : un moteur bien huilé
L’action est omniprésente : poursuites, combats, explosions, révélations. Reeve maîtrise parfaitement le rythme, maintenant l’attention du lecteur de chapitre en chapitre. C’est cette dynamique narrative qui a contribué au succès du livre auprès des jeunes lecteurs, tout en conservant une profondeur thématique appréciée des adultes.
Une critique sociale percutante sous une couverture d’aventure
Au-delà de son intrigue, Mortal Engines propose une critique sociale acérée. Le « darwinisme municipal » illustre une allégorie du capitalisme débridé : les grandes villes dévorent les petites, les classes sociales sont rigides, les élites manipulent les masses. Le personnage de Thaddeus Valentine, archéologue de renom, incarne cette élite corrompue, prête à tout pour préserver sa domination.
Une écologie apocalyptique
Le roman aborde aussi une dimension écologique importante. La Terre a été ravagée, les ressources sont rares, et la technologie devient un outil d’asservissement plutôt que de progrès. Ce thème, plus que jamais d’actualité, trouve un écho fort chez les lecteurs sensibles aux enjeux environnementaux.
Sur steampunk-one.com, où l'on explore souvent les liens entre esthétique et critique sociale, Mortal Engines apparaît comme un exemple parfait de cette double fonction du steampunk : émerveiller tout en questionnant.
La saga littéraire : une expansion ambitieuse mais inégale
Après le premier tome, Philip Reeve a écrit trois suites (Predator’s Gold, Infernal Devices, A Darkling Plain) ainsi que plusieurs préquelles. L’univers s’élargit, les enjeux deviennent planétaires, voire cosmiques.
Une montée en puissance réussie… au début
Le second tome, Predator’s Gold, est souvent salué comme l’un des meilleurs de la série. Il approfondit les relations entre personnages, introduit des villes flottantes et développe la mythologie du monde. Les enjeux y gagnent en intensité, et l’écriture de Reeve s’affine.
… mais une fin confuse et déroutante
Malheureusement, A Darkling Plain, le quatrième tome, a divisé les lecteurs. La fin est sombre, mélancolique, voire nihiliste. Certains choix narratifs ont frustré les fans, en particulier autour du destin de Tom et Hester.
L’univers s’alourdit aussi sous le poids de ses propres ambitions : intrigues secondaires multiples, flashbacks, nouvelles factions… Cela nuit parfois à la lisibilité.
L’adaptation cinématographique : un échec retentissant
En 2018, Mortal Engines est adapté au cinéma par Christian Rivers, avec Peter Jackson à la production. Le film avait tout pour réussir : un budget colossal, des effets spéciaux impressionnants, et une base de fans solide. Et pourtant… le résultat fut un désastre commercial.
Une esthétique magnifique mais creuse
Visuellement, le film est une réussite. Londres mobile est saisissante, les décors sont superbes, et la direction artistique est en parfaite adéquation avec l’esprit steampunk. Pour les amateurs de visuels rétrofuturistes, c’est un festin.
Mais l’esthétique ne suffit pas. Le scénario a été simplifié à l’extrême, vidant le récit de sa substance politique et émotionnelle. Les personnages sont réduits à des stéréotypes, leurs motivations survolées. Hester, par exemple, est “embellie” pour coller aux standards hollywoodiens, trahissant l’essence même du personnage.
Une campagne marketing confuse
Le marketing du film n’a pas su identifier clairement son public. Était-ce un film pour ados ? Pour adultes ? Pour fans de science-fiction ? De fantasy ? Le positionnement flou a nui à sa réception.
Résultat : un flop retentissant, avec à peine 83 millions de dollars de recettes pour un budget estimé à plus de 100 millions. Une leçon amère pour les producteurs, et une grande déception pour les fans.
Entre succès littéraire et échec cinématographique : comment l’expliquer ?
Le contraste entre la réussite du roman et l’échec du film s’explique par plusieurs facteurs :
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Public ciblé mal identifié : Le roman a trouvé son lectorat chez les adolescents et jeunes adultes intéressés par les mondes alternatifs. Le film n’a pas su capter ce public.
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Complexité narrative réduite : Là où le livre développe une critique sociopolitique profonde, le film opte pour une aventure basique, perdant ainsi ce qui faisait la richesse de l’univers.
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Mauvais timing : Sorti après la vague des adaptations young adult (post-Hunger Games, Divergente…), le film semblait déjà daté.
L’héritage de Mortal Engines dans le steampunk contemporain
Malgré ses défauts, Mortal Engines a laissé une empreinte durable sur la littérature steampunk. Il a contribué à renouveler les codes du genre, à introduire une esthétique mobile, mécanique et dystopique dans un univers post-apocalyptique.
De nombreux auteurs, notamment dans la littérature jeunesse et young adult, s’en sont inspirés. Des œuvres comme Railhead de Philip Reeve lui-même, Leviathan de Scott Westerfeld ou encore The Clockwork Century de Cherie Priest, reprennent certains motifs.
Sur steampunk-one.com, où l’on analyse régulièrement l’évolution du genre, Mortal Engines mérite amplement une place d’honneur dans le panthéon du steampunk narratif moderne.
Conclusion : un moteur qui cale parfois, mais un véhicule qui inspire encore
Mortal Engines n’est pas un chef-d’œuvre exempt de défauts. Certains personnages manquent de profondeur, certaines intrigues s’essoufflent dans les tomes suivants, et l’adaptation cinématographique a terni son image auprès du grand public.
Mais dans le monde littéraire steampunk, il demeure une œuvre charnière, ambitieuse, inventive et stimulante. Son univers mécanique, sa critique sociale, son esthétique unique en font un incontournable pour tout amateur de rétrofuturisme.
Pour les lecteurs de steampunk-one.com, Mortal Engines offre une source inépuisable de réflexion, d’inspiration et de fascination. Que vous soyez amateur d’uchronies, d’aventures mécaniques ou de récits engagés, ce roman vaut le détour — malgré ses ratés cinématographiques.