La représentation des classes sociales dans les jeux steampunk.

La représentation des classes sociales dans les jeux steampunk.

L’univers steampunk fascine depuis des décennies : c’est un terrain fertile pour les écrivains, les artistes… et les créateurs de jeux. Fusion entre l’ère victorienne, la révolution industrielle et l’imaginaire rétrofuturiste, le steampunk offre bien plus que des engrenages et des machines à vapeur. Il propose une lecture critique du passé et une réflexion sur les rapports sociaux. Et dans les jeux vidéo ou de rôle steampunk, cette dimension sociale, en particulier celle des classes sociales, prend une importance capitale.
Mais comment sont-elles représentées ? Servent-elles uniquement de décor ? Sont-elles des mécaniques de gameplay, ou des leviers narratifs ? Explorons ensemble cette facette trop souvent sous-estimée du genre.


L’esthétique steampunk : un miroir des inégalités

Le steampunk tire une grande partie de sa force visuelle et symbolique de l’époque victorienne. C’est une ère où la première classe navigue sur des dirigeables dorés, pendant que les ouvriers s’échinent dans les profondeurs d’usines bruyantes. Ce contraste est profondément ancré dans l’esthétique du genre : palais baroques et ruelles crasseuses coexistent, tout comme les bourgeois mécènes et les enfants des rues aux doigts tachés de suie.

Dans ce cadre, les jeux steampunk trouvent un matériau narratif puissant : la lutte des classes, la domination industrielle, l’inégalité d’accès à la technologie. Ces éléments ne sont pas accessoires : ils façonnent les récits, influencent les personnages et orientent le gameplay.


Quand la classe sociale devient gameplay : le choix des origines

Nombreux sont les jeux steampunk qui permettent de choisir l'origine sociale de son personnage. Ce choix n’est pas seulement cosmétique : il détermine les ressources, les compétences, les accès aux quartiers de la ville, voire les quêtes disponibles.

Prenons "Dishonored" (Arkane Studios). Bien que d’inspiration steampunk, l’univers de Dunwall est imprégné de divisions sociales. Le joueur incarne un protecteur royal, mais se retrouve rapidement confronté aux bas-fonds de la ville, peuplés d’orphelins, de marginaux et de révolutionnaires. Le contraste est saisissant : la noblesse festoie pendant que les pauvres meurent de la peste.

Dans "Arcanum: Of Steamworks and Magick Obscura", le joueur peut incarner un elfe noble, un demi-orc ou un gnome marchand. Ces choix influencent les interactions sociales, les réactions des PNJ, et même l’accès aux guildes et institutions. Ce système souligne combien le statut social structure la société steampunk, et combien il influence la destinée individuelle.


La technologie : un marqueur d’élite

Dans l’univers steampunk, la technologie est partout… mais elle n’est pas accessible à tous. Les classes supérieures bénéficient souvent des dernières innovations : automates domestiques, armes de précision, moyens de transport personnels. En revanche, les classes populaires sont souvent reléguées à des machines archaïques, des outils usés ou des armes improvisées.

Dans "Frostpunk", jeu de gestion post-apocalyptique au cœur d’un univers steampunk glacial, cette fracture devient une mécanique de survie. Le joueur doit organiser la ville, et décider de prioriser certaines classes sur d'autres. Les ingénieurs vivent dans des quartiers chauffés tandis que les ouvriers dorment dans le froid, si les ressources manquent. Ces décisions affectent la stabilité sociale, les émeutes… et parfois la chute du régime.

La techno-élite devient alors un symbole puissant de séparation sociale. Et ce n’est pas un hasard si, dans de nombreux jeux, les rebelles ou révolutionnaires cherchent à démocratiser la technologie – ou à la détruire pour briser le joug des puissants.


Les figures de l’élite et de la rébellion

Le steampunk est riche en personnages archétypaux issus des classes sociales. Les industriels sans scrupules, les aristocrates décadents, les militaires haut-gradés… mais aussi les voleurs au grand cœur, les ingénieurs autodidactes, les rebelles masqués.

Ces oppositions nourrissent les récits. Dans "Thief", Garrett incarne ce voleur solitaire qui navigue entre les mondes. Il vole les riches, infiltre les palais, mais reste rejeté par les deux mondes. C’est un produit des bas-fonds, mais aussi un connaisseur du luxe, un agent double de classe sociale.

Dans les jeux de rôle papier comme "Tephra" ou "Lady Blackbird", les classes sociales sont souvent intégrées dans la fiche de personnage : titres de noblesse, dette familiale, rang militaire. Les intrigues s’appuient sur ces tensions : mariages arrangés, trahisons, héritages volés. Le drame victorien devient moteur de gameplay.


Utopies et dystopies : visions sociales divergentes

Tous les jeux steampunk ne traitent pas la question sociale de la même manière. Certains, comme "Machinarium", choisissent une lecture plus poétique, où les classes sont suggérées par l’esthétique : robots miséreux contre robots autoritaires. D’autres, comme "BioShock Infinite", vont plus loin : la lutte de classes devient le cœur de l’intrigue, entre les élites religieuses de Columbia et les "Vox Populi", mouvement révolutionnaire issu du peuple.

Dans ce dernier, la représentation est ambivalente : les révolutionnaires ne sont pas idéalisés. Leur violence, leur radicalisation montrent que la révolte n’est pas sans conséquences, et que les utopies égalitaires peuvent virer à la terreur. Le message est clair : l’injustice sociale est complexe, et sa résolution ne tient pas dans un simple renversement.


Immersion par la narration environnementale

Les jeux steampunk excellent souvent dans la narration environnementale : les décors racontent l’histoire, et les classes sociales y laissent leurs traces. L’usine décrépite, les affiches de propagande, les déchets dans les rues, les affiches de recrutement militaire… Tout cela permet au joueur de ressentir l’inégalité sans discours didactique.

Dans "Sunless Sea" et "Sunless Skies", l’ambiance est lourde, mélancolique, presque désespérée. L’Empire, tentaculaire et bureaucratique, est une métaphore de la société de classe. Les capitaines solitaires naviguent entre colonies désespérées et métropoles tentaculaires. Le commerce, les complots et les tensions raciales reflètent une société cloisonnée, où le statut définit la survie.


Le steampunk comme critique sociale implicite

Ce n’est pas un hasard si les jeux steampunk sont souvent utilisés pour critiquer notre propre monde. Par l’intermédiaire de leurs univers fictifs, ils nous renvoient à des problématiques bien réelles : exploitation ouvrière, élitisme technologique, conflits raciaux et sociaux, surveillance étatique, résistance citoyenne.

Les métaphores steampunk sont puissantes car elles permettent de mettre à distance des enjeux contemporains tout en les rendant tangibles : qui contrôle l’énergie ? Qui a accès à l’innovation ? Qui décide de la place de chacun dans la société ? Ces questions résonnent profondément, que l’on joue à un RPG narratif ou à un jeu de stratégie complexe.


La personnalisation des personnages : choix ou illusion sociale ?

Beaucoup de jeux steampunk modernes permettent de personnaliser son personnage. Choix de genre, d’origine, de classe… Mais jusqu’où ces choix influencent réellement le déroulement du jeu ? Est-ce une simple illusion d’inclusivité, ou une véritable réflexion sur le déterminisme social ?

Dans "GreedFall", par exemple, on incarne un noble envoyé en mission diplomatique. Malgré la possibilité de choix moraux, le statut du héros reste élevé. Cela pose une question : peut-on vraiment "jouer un ouvrier" dans un monde steampunk, ou le genre favorise-t-il malgré tout une vision aristocratique du pouvoir ?

Ce biais est parfois corrigé par des mods, des campagnes alternatives, ou des jeux indépendants qui choisissent de faire incarner les laissés-pour-compte, les marginalisés, les héros sans ressources.


Réception par les joueurs : empathie ou fantasme ?

Il est intéressant de noter comment les joueurs perçoivent ces univers. Certains vivent la lutte sociale comme une opportunité de se rebeller, de corriger des injustices. D’autres préfèrent incarner les puissants, les maîtres de l’industrie, les architectes de sociétés dystopiques.

Cela soulève une autre tension : le steampunk fascine autant qu’il critique. Il attire par son esthétique élitiste – montres à gousset, salons privés, costumes de dandy – mais pousse aussi à questionner les privilèges que ces symboles incarnent.

Sur Steampunk One, les discussions autour de ce paradoxe sont fréquentes : le style est-il une forme de résistance ou un hommage à l’élitisme victorien ?


Enjeux pour les créateurs de jeux

Les développeurs de jeux steampunk ont une responsabilité implicite : ne pas utiliser la lutte des classes comme simple décor. Lorsqu’elle est bien intégrée, elle enrichit le monde, rend les dilemmes moraux plus forts, et donne du poids aux décisions du joueur.

Ils doivent aussi éviter la caricature : tous les nobles ne sont pas cruels, tous les pauvres ne sont pas vertueux. La richesse du steampunk réside dans la complexité morale de ses personnages, dans les zones grises, dans les retournements de perspective.


Vers un steampunk plus inclusif ?

Une tendance récente, qu’on observe dans certains jeux indépendants, est celle d’un steampunk décolonisé, plus représentatif, plus varié socialement et ethniquement. Des jeux comme "Heaven’s Vault", bien que plus orientés vers l’archéologie narrative, abordent subtilement la question de l’héritage impérial et des hiérarchies linguistiques et culturelles.

On peut espérer que le steampunk vidéoludique continue sur cette lancée : plus de voix populaires, plus de récits venus d’en bas, plus de contre-pouvoirs aux grandes compagnies fictives.


Conclusion : la classe sociale, un moteur narratif essentiel

Les jeux steampunk ne seraient pas aussi riches sans leur couche sociale profonde. Qu’il s’agisse d’incarner un aristocrate ou un ouvrier, un rebelle ou un espion, chaque choix révèle quelque chose sur la structure de la société fictive… et la nôtre.

En intégrant ces dynamiques à leurs mécaniques, les développeurs créent non seulement des mondes plus crédibles, mais aussi des expériences émotionnelles fortes. Car derrière chaque dirigeable en cuivre et chaque automate, il y a des histoires de lutte, d’ambition, de révolte et d’identité.

Si vous souhaitez en apprendre davantage sur l’univers steampunk, ses codes, ses créations et ses débats culturels, n’hésitez pas à visiter Steampunk One, votre passerelle vers un monde d’engrenages, de réflexion sociale et de rêve mécanique.

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